Atteindre le col Uthu depuis le col Bagargui, en passant par le pic d’Orhy, le port de Larrau, la crête frontière reliant les sommets de l’Atchourterrigagna, du Betzulagagna, du Gastarrigagna permet de sentir les Pyrénées se cabrer. Les noms de lieux sont irréfutablement basques et ne parlent vraiment qu’aux basques de souche. On peut apprécier la montagne basque pour elle -même, mais c’est au prix d’une sauvage réduction culturelle, car elle nous dit trop peu de la vie de ce pays et de ses habitants. En élargissant cette remarque, on devient pyrénéiste à la manière de Béraldi. Du col de Tharta, gravir la crête jalonnée de postes palombières de l’Aloupegnia, c’était à l’époque emprunter le chemin jonché de milliers de cartouches bleues et rouges, abandonnées par notaires, médecins et riches bordelais, locataires à prix d’or de ces lieux, venus mitrailler à volonté les nombreuses palombes quittant le territoire clandestinement. Après avoir franchi le sommet du Zazpigagn, la crête aérienne s’amincit au point de devenir périlleuse pour les randonneurs lourdement chargés ou insuffisamment expérimentés, qui seront bien inspirés de ne pas insister et de décrocher côté français avant de reprendre pied versant espagnol du pic d’Orhy. Au sommet de ce premier 2000, depuis l’Océan Atlantique, le panorama est saisissant, le regard s’empare des Pyrénées et de son piémont sans souci de frontière, cent kilomètres à la ronde. La descente de ce majestueux belvédère est raide, particulièrement éprouvante pour les articulations des jambes, dangereuse par brouillard dense, surtout si l’on tire trop à gauche vers le versant français. La suite du parcours de crête jusqu’au col Uthu n’offre aucune difficulté par beau temps : on monte, on decend, on remonte, on redescend...sur de vastes pâturages peu confortables. On évitera sur la lancée de gravir l’Otchogorrigagna, qu’il faut contourner à flanc pour débarquer au col Uthu. Pour l’anecdote, cet extrait de ma traversée de 1974 « J'atterris enfin sur l'immense parking goudronné du port de Larrau où un vent glacé et violent m'invite à ne pas séjourner. Pas de trace des ravitailleurs, mais j'ai plus de deux heures d'avance sur notre rendez-vous. J'essaie de trouver refuge dans une palombière, mais je dois très vite battre en retraite, les yeux remplis de terre arrachée par le vent aux mottes des murs. Voici une construction plus sérieuse, en grosses pierres, dans l'axe du parking. J'enfile tous les vêtements disponibles, ce qui ne suffit pas à barrer la route au froid. Je couvre le mur avec une toile en nylon qui, malgré des blocages de fortune, menace de s'envoler à tout moment. Et là , dans le froid pénétrant, la brume, le vent, les claquements de la toile, je médite sur la condition des alpinistes naufragés. Les fesses et le dos meurtris par des pierres, recroquevillé sur moi-même, secoué de tremblements et claquant des dents, j'attends le sauvetage. Je me vide de volonté comme les pierres qui m'entourent, j'endure les éléments hostiles. Au fil des heures, je me demande si un accident de circulation n'aurait pas cloué mes ravitailleurs sur quelque route basque. Mais je reste immobile, avec une seule idée: tenir ! Le vent hurlant tente de saper ma résistance, joue à imiter le bruit de moteurs qui n'arrivent jamais. Enfin, voici ces amis qui surviennent dans ce décor hallucinant. Une silhouette boitillante leur apparaît, qui leur fait craindre l'accident. C'est qu'ils sont accérés les gravillons quand on marche en chaussettes ! » Merci, Georges Véron, pour ces souvenirs qui ne vieillissent pas !
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