Salau – Etang de la Hillette par le col de Cruzous et le port de Marterat.
Dans ses topos, en préambule de sa 31ème étape, Georges Véron écrit « Etape longue, pénible, presque toujours hors sentier et par suite très difficile à réussir quand le temps n’est pas favorable. La variante Salau-Noarre est plus courte et nettement plus aisée »...« Etant donné la longueur de cette rude étape, il est même avantageux de se faire monter en voiture jusqu’à cette mine, distante de 4 km. » A travers ces présentations, on devine que ce parcours n’est pas de la tarte et que Véron n’est pas amateur de marche sur route de montagne. Pour ma part d’expérience en 1974, ces lignes non retouchées tentent de montrer l’ambiance. « Du col de Cruzous, la descente est courte mais sévère, sur des pâturages ras et glissants. C'est alors que de tous les coins de la montagne invisible coulent vers moi des troupeaux de bêlements. Bientôt, les moutons m'encerclent, quémandant du sel, mais je les écarte en imitant l'énervement des chevaux. Il me faut remonter ensuite sur la crête par un sentier à droite. Une sente à vaches m'abandonne au dessus d'une vallée profonde que j'aperçois à travers un rideau de brume. La boussole me conseille d'y plonger, le topo guide d'accord avec l'altimètre me l'interdit. Je remonte la crête, espérant trouver le sentier menant aux sources de Marioles. Après avoir franchi un petit mammelon, je découvre une sorte de petit col d'où part le sentier indiqué. La boussole m'indique maintenant une traversée à flanc, beaucoup plus logique que le plongeon envisagé tout à l'heure. Les quelques mètres de sentier qui daignent apparaître sont dans la bonne direction. J'avance résolument vers l'inconnu, qui reste inconnaissable dans cette épaisse purée. Un bruit de torrent m'indique que je dois approcher de l'abondante source de Marioles. En effet, l'eau jaillit de la terre, terriblement froide. Je m'installe sur un bloc de rocher, au milieu du déversoir, pour casser la croûte. L'eau avalée me renseigne sur la longueur de mon oesophage ! En route ! Le sentier moutonne, et bientôt l'itinéraire me commande de l'abandonner pour ne pas me laisser tenter par le port de Marterat, un instant aperçu dans une déchirure du brouillard. Les pierriers prennent le relais. Mon prochain point de repère devrait être le ravin de la Hoque d'Enfer. Un nom à faire frémir, surtout quand vous êtes quasiment aveugle et que vous avez décidé de le rencontrer en tenant assez bas. Soudain, le sol disparait, c'est le ravin ! Je remonte au bord de cette gigantesque cassure à la recherche du passage signalé. Là , je peux faire le point. Les champs de pierres sont remplacés par des blocs de roches grisâtres, qui ne rendent pas facile le maintien d'une direction. Je décide de tenir haut pour rencontrer la muraille, qu'il me suffira de balayer vers le bas pour trouver le col permettant de la franchir. Mais dans cette purée, le moindre rocher se fait passer pour une montagne, et je dois contrôler chaque illusion avant de changer de cap. Le temps passe à approcher tous les rochers qui me paraissent imposants pour constater que ce n'est pas la muraille que je cherche. Celà pourrait être un jeu amusant avec quelques copains, mais la solitude ne m'incite pas à rire dans cet univers tourmenté. Voici enfin un rocher plus large que les autres ! Un vrai mur que je longe quelques centaines de mètres pour aboutir à un col. Faisant comme si c'était le bon, je grimpe dans la direction conseillée par mon prédécesseur Georges Véron. Les énormes blocs de granit m'obligent à cheminer au mieux, tout en surveillant ma boussole. Il y a parfois des miracles pour les randonneurs: je tombe sur une cabane construite sous un rocher, point de repère inespérable qui garantit ma progression antérieure. J'affiche un nouveau cap sur la boussole et j'avance, forcé de l'oublier tout aussitôt par ce qui semble une série de lacs. Le vent, daignant balayer un instant le brouillard, me montre où je suis, et les lacs s'évanouissent en grosses flaques. Le pic du Milieu, flanqué de son col, m'attend. Je fonce vers lui, redoutant le retour de la purée. Bientôt, je passe le col, trouve la deuxième cabane signalée sur le topo guide et cherche l'étang d'Alet. Inutile ! Le brouillard a tiré un épais rideau sur la vallée. A l'aveuglette maintenant, il s'agit de franchir un éperon vers 2340 mètres. Vive l'altimètre et merci aux ouvriers consciencieux qui l'ont fabriqué ! Je franchis l'éperon. Mais je ne parviens pas à descendre vers des laquets invisibles à l'Est. Je retrouve les mauvaises sensations de l'acrobatie sans filet. Finalement, sur ma gauche, je trouve le passage. Me voici enfin au bas de l'éperon, à la recherche du déversoir du plus grand laquet. Je patrouille vers les bruits d'eau, contourne chaque laquet rencontré pour les comparer mentalement. Un déversoir énergique me fait penser qu'il s'agit de celui que je cherche. Aussitôt, je pars à la recherche des falaises du Campet, espérant que les ariégeois n'attribuent pas ce nom à la légère. Voici une muraille qu'il me faut longer en descendant pour, en principe, trouver une sorte de col vers 1830 mètres, qui se trouve à proximité de l'étang de la Hilette. La pente est assez raide, le terrain mi pierreux mi herbeux est glissant. Pour avoir mal surveillé l'endroit où je posais mon pied, je pique une tête dans un bouquet de rhododendrons. C'est un utile rappel à la prudence, que, malgré mon inquiètude, je reçois cinq sur cinq. L'altimètre m'avertit que je devrais déjà avoir trouvé le col. Alors, je décide de monter jusqu'à la crête pour tenter de descendre sur l'autre versant, où doit se cacher l'étang de la Hilette. Pourvu que le terrain soit praticable ! Je grimpe dans les rhododendrons vers une crête qui se cache et se fait attendre. Fin de la grimpette, mais le brouillard cache tout le paysage. Et dire que Catherine est peut-être proche, puisqu'elle devait venir passer la nuit dans ce site réputé. Je n'ose pas crier, de peur de faire croire à l'accident et aussi d'avoir recours à cette ultime ressource du désespoir. Un trés léger et fugitif éclaircissement du brouillard m'a suffi pour repérer la surface de l'étang. Une bouffée de joie m'envahit. En piste pour le déversoir ! "C'est presque gagné", me répète une voix intérieure. Soudain, naît du brouillard un couple de pêcheurs montagnards, qui viennent passer la journée au bord de l'étang...de la Hilette ! Ils me confirment la proximité de la cabane, ce qui me détend complètement. Eux aussi voudraient faire quelques étapes de la Haute Randonnée Pyrénéenne. Avant de me quitter, en guise d'au revoir, ils m'offrent une plaque de beurre et deux tomates, geste fraternel qui embellit ma traversée. Le brouillard les avale et je finis d'arriver à la cabane. » Pour Georges Véron, cette réussite était la marque d’une maturité montagnarde indéniable « Réaliser pour la première fois l’étape Salau-La Hillette en plein brouillard est une performance qui n’est pas à la portée du premier montagnard venu ! » Mais les compliments doivent vous effleurer et non vous pénétrer. Sachant tout ce que je devais à la chance, en raison de mon inexpérience relative de la randonnée, de la navigation, et de la marche en solitaire, je crois que l’appréciation du grand sarthois visait indirectement à dissuader, avec raison, les néophytes de s’engager sur ce parcours par mauvaises conditions Météo. Or, j’étais, à l’époque, plus entêté que volontaire en ne renonçant pas, preuve par excellence d’immaturité.
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