Hugues, je suis allé voir le rapport que tu cites. Sur les 2295 interventions de secours, 625 sont dues à l’alpinisme et 1731 à la randonnée, soit environ trois fois plus pour la randonnée. Y a-t-il trois fois plus de randonneurs que d’alpinistes ? Le rapport ne le dit pas. Si c’est le cas, cela veut dire que l’alpinisme provoque relativement plus d’interventions que la randonnée.
On voit également que dans l’alpinisme les décédés représentent environ 10% des blessés. Pour la randonnée, ce chiffre tombe à 5% environ. Conclusion : les accidents pardonnent moins en alpinisme qu’en rando, ça n’est pas nouveau.
Le SNOM, qui a publié le rapport, en a fait un autre pour l’année suivante (voir
http://www.pyrenees-pireneus.com/secour ... bilite.htm ). Là , tous les décès en alpinisme sont d’origine traumatique (blessures et autres fractures, j’imagine) alors qu’en randonnée, presque la moitié est d’origine non traumatique. N’étant pas spécialiste je ne vois pas très bien ce qu’ils veulent dire par là , mais j’imagine qu’il s’agit d’arrêts cardiaques, d’épuisements, d’hypoglycémies, d’hypothermies, que sais-je encore. Moralité, en rando, la moitié des décès seraient évitables en mangeant, en buvant, en choisissant son parcourt en fonction de ses moyens, etc., ce qui rejoint un peu les commentaires de Marmottine, Monax, Mamie et Nico. Apparemment, les alpinistes sont mieux préparés, puisqu’ils ne souffrent pas autant de problèmes non traumatiques. Autre possibilité : en alpinisme, les problèmes graves de préparation se traduisent toujours par un accident.
Le nombre de blessés indique également que les alpinistes se préparent mieux. Bien qu’ils pratiquent un sport plus dangereux la proportion de blessés est identique à celle des randonneurs. Dans les deux cas, cela représente environ la moitié des personnes évacuées. Si les randonneurs se blessent autant (un peu plus, même) que les alpinistes tout en pratiquant une activité relativement moins dangereuse, c’est sûrement par manque d’expérience (marcher en basquets sans boire ni manger, etc.). L’âge compte aussi : dans le rapport sur 2002, la moitié des personnes décédées en rando a plus de 50 ans, alors que cette tranche d’âge ne représentent que 22% du total de personnes évacuées. On dirait que ces personnes ont tendance se lancer dans la rando tout en surestimant leurs capacités.
Ces données me font penser aux résultats d’études sur la façon dont les gens prennent des décisions risquées. En général, les amateurs évaluent très mal les risques et sont pratiquement incapables de reconnaître à quel point ils ignorent les problèmes qu’ils abordent. C’est une forme d’excès de confiance, quoi. Les randonneurs du dimanche qui se promènent en basquets ne qu'un exemple qu’un exemple parmi d'autres, dès lors qu'il s'agit d’un phénomène général, qui touche presque tout le monde à un moment où à un autre, puisqu’il y a toujours des domaines où l’on est amateur.
Les experts évaluent mieux les risques, mais ils continuent à surévaluer leurs connaissances des problèmes qu’ils abordent. Autrement dit, les alpinistes chevronnés calculent mieux les risques mais ils en prennent plus, y compris quelques uns qu’ils ne voient pas. Du coup, ils peuvent finir par s’exposer aux accidents.
D’autres études sur la question dévoilent un autre effet, assez pervers : le paradoxe de la sécurité. Le fait de s’équiper et de se préparer pour faire face à toutes les éventualités peut finir par créer un faux climat de confiance qui conduit à prendre plus de risques. Ce paradoxe est bien connu sur la route : c’est le cas du type qui s’achète une grosse voiture pour se sentir plus en sécurité et qui, du coup, roule à toute berzingue. Le jeune (ou vieux) crétin qui se croit alpiniste chevronné parce qu’il vient de s’acheter toute la panoplie du parfait grimpeur tombe dans le même panneau.
En général, c’est plutôt une bonne chose de sous-estimer les risques, parce que ça aide à surmonter des difficultés qui pourraient paraître insurmontable autrement. Sans cet optimisme, les montagnards se lanceraient-ils dans des défis qui font rêver? Personnellement et à une autre échelle, je n’ai pas la moindre envie de me priver de randos parce que, comme tout le monde, je sous-estime probablement les risques. Par contre, si j’arrive à me mettre dans le crâne que mon ignorance est plus vaste que prévu et si cela me permet, en pleine action, d’éviter une décision idiote comme inventer un raccourci (ça m’est déjà arrivé, j’avoue, et ça aurait pu mal se passer) ou ignorer un orage qui s’annonce, je me dit que c’est déjà pas si mal.
Oups, désolé, on dirait que j’en ai mis un peu plus long que prévu...
Bonne montagne à tous !