La contribution initiale me semble avoir une pertinence particulière en ce qui concerne les moyens modernes de communication et les dérives qu'ils peuvent entraîner. Et ceci nous concerne tous qui fréquentons ce site et ce forum (et d'autres). Quand j'ai commencé la montagne, il n'y avait que les livres, très accessoirement les revues. Quand on décidait de partir en montagne, c'était sur la base d'informations fragmentaires, de vagues photos, de souvenirs ou de renseignements personnels (les fameux R.P. en bas de topo des guides Ollivier); rien d'autre, pas de prévisions météo pour orienter son choix, on partait et sur place on s'adaptait, au temps, aux conditions, à la forme du jour.
Maintenant avec (grâce à ?) internet, tout est disponible sur un écran. Je veux faire ce couloir ? je tapote sur mon clavier, le topo détaillé surgit, je peux même voir des photos (voire des vidéos) postées par d'autres, "comme si on y était".
Sauf qu'on y est pas. C'est uniquement lorsqu'on sera sur place que l'on pourra juger des conditions, de la raideur réelle, des difficultés véritables. Mais le fait d'avoir cette foison d'images disponibles est trompeur: non seulement cela donne l'illusion d'une proximité voire d'une réalité mais surtout l'illusion que, après tout, "je peux le faire" (voire-même, inconsciemment, que "je l'ai fait"). Avec une vidéo on peut se retrouver en 30 secondes en plein milieu de la Face Nord de l'Eiger ou des Jorasses, ou plus simplement en train de remonter ce couloir de Gaube qui fascine tant ("finalement cette cascade de glace finale elle n'est pas si raide, avec de bons relais sur broches c'est faisable, en-dessous ce n'est que du couloir à 60 ° après tout"). On "touche" la réalité, mais la réalité, c'est loin là -bas perdu au milieu des montagnes dans le froid, et nous au chaud sans effort devant un écran.
Je suis persuadé que cette profusion d'images et d'informations, qui tend déjà à influencer ceux qui ont déjà l'expérience de la montagne (en imposant insidieusement comme norme toute une imagerie mentale), est particulièrement pernicieuse pour ceux qui n'ont justement pas ou pas encore cette expérience. Et la confusion est d'autant plus grande que dans le domaine de la montagne les pratiques se sont démultipliées. Avant c'était rando, escalade l'été et ski de rando l'hiver quand arrivait la neige. Point. Maintenant les pratiques sont si nombreuses, mélangées, empruntant les unes aux autres, qu'on s'y perd facilement. Et qu'on peut y perdre le sens des réalités, notamment du terrain. Le drame récent du Val d'Esquierry m'a paru très révélateur de cette évaluation. Hors toute intention polémique de ma part qui serait particulièrement mal-venue et déplacée, ces 2 copains joggeurs sont partis en godasses de running et collants de manière d'abord incompréhensible pour nous. Non seulement ce qui paraît évident pour nous ne l'a pas été pour eux (Hiver, haute-montagne - oui, 2100 M. en hiver c'est de la haute-montagne, météo ?, etc...), mais je suis persuadé qu'ils étaient non-seulement dans un autre état d'esprit mais une forme d'autre dimension ainsi résumée: "on va courir". Ils étaient (mais d'une certaine façon) conscients de ce qu'ils faisaient (ils avaient pris des raquettes, c'est donc qu'ils savaient qu'il y avait probabilité de neige), possédaient sans doute une carte du secteur, mais leur état d'esprit était celui du joggeur du dimanche qui lorsqu'il part de chez lui a déjà intégré le retour ou le point d'arrivée et n'envisage pas une autre éventualité, surtout dramatique. Moi-aussi lorsque je pars à la journée je n'envisage pas nécessairement le pire, mais par expérience je sais que vu le milieu il faut pouvoir s'adapter selon les circonstances (et encore plus en hiver), qu'elles soient de mon fait ou autres. D'où matériel adapté, fond de sac, etc..., et surtout état d'esprit prêt aux éventualités. Cette expérience, l'acceptation et la pleine conscience que rien n'est déterminé par avance (y compris ses propres capacités, qu'on aura toujours tendance à surestimer, mais toujours avant), je suis persuadé que les possibilités offertes par notre société de consommation moderne non seulement n'y préparent pas mais de surcroît les nient d'une certaine manière. Les valeurs mises en avant ne sont plus celles de l'expérience, de la patience, du temps accumulé, de l'apprentissage et du travail nécessaire. C'est tout, tout de suite. Comme internet.
Bref pour synthétiser (et relativiser les élucubrations quand même vachement sérieuses du dessus), continuez à venir sur Pteam, que les récits et images informatifs vous incitent à sortir, mais ne vous imaginez pas que c'est dans la poche pour autant, et restez le nez au vent.
PS: la vidéo de Koda m'a bien fait marrer (je sais, c'est pas bien de rigoler du malheur des autres; même des Suisses); m'enfin quand même, ce skieur de pente raide qui se rend soudain compte, le malheureux, qu'un ski ça glisse aussi en arrière...
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