El Serrat – Camping d’Incles Par le col de la Mine Cette variante andoranne permettait à l’époque un contact avec le véhicule ravitailleur, par la petite route desservant le terrain de camping, alors sur-fréquenté. Quelques notes de 1974 illustrent le poids de la recherche de l’itinéraire pour un navigateur inexpérimenté. Rétrospectivement, l’éclairage de Dino m’enlève tout scrupule de ne pas m’être engagé dans le parcours Etang Fourcat, Etang de Soulanet. Les Pyrénées Ariégeoises m’auraient coincé ou pire ! « L'itinéraire se déroule dans un paysage d'herbages fanés et de maigres forêts, puis le terrain devient désertique en approchant du col de la Mine. Mais s'agit-il de lui ? J'ai suivi scrupuleusement toutes les indications de Georges Véron, j'ai marché sans trop de haltes, je me suis dépensé, je me suis appliqué, et je me surprends à prier silencieusement pour qu'il y ait une petite murette de pierre à ce col. La montagne est trop immense, je suis fatigué de m'égarer, j'estime mériter de ne pas m'être perdu cette fois ci. Il n'y a pas de murette de pierre au col ! Moralement, je m'effondre, je ne comprends plus, je me sens brisé. J'avance quand même, comme un automate pour m'asseoir. Quelques mètres en contrebas, la murette surgit. La joie s'engouffre dans tout mon être figé. Immense soulagement ! Je murmure merci, merci, sans savoir à qui je m'adresse. En quelques instants, je découvre l'instinct de la prière païenne et le sens de la gratitude cosmique. Paralysé extérieurement, je suis intérieurement bouleversé par ces puissantes émotions et ne sais pas manifester cette joie sauvage, inconnue, qui m'a totalement envahi. J'écoute en moi son bruit retentissant. ... J'arrive à la crête, d'où j'aperçois, à l'horizon, d'énormes pylônes colorés. Si je suis sur le bon itinéraire, il me faut descendre vers l'Est pour apercevoir un petit lac. Je descends donc dans cette direction en m'aidant de la boussole, mais avec l'impression tenace d'aller vers l'Ouest. C'est même une intime conviction que la position du soleil ne parvient pas à ébranler. Et pas de lac, toujours pas de lac ! Mais si ! Le voilà ! Un pêcheur montagnard me regarde approcher. Je m'efforce de maitriser mon émotion en lui demandant où se trouve Inclès. Il me répond que je suis presque arrivé. Ouf, quelle détente ! Il me demande d'où je viens, d'autant plus intéressé qu'il se propose d'effectuer cette traversée l'an prochain avec des amis. Nous parlons traversée, problèmes de pieds, itinéraire du lendemain. Il me montre sur le terrain le départ de la prochaine étape, ce qui m'intéresse au plus haut point. Alors que je déborde de reconnaissance pour cet inconnu, ce dernier me demande la permission de me photographier en souvenir de cette rencontre, qu'il espérait un peu. j'accepte volontiers et lui demande de m'envoyer le double de cette première photo de ma traversée. Il s'étonne que je n'ai pas photographié cette aventure, mais promets de m'envoyer l'image, en notant mentalement mon nom et mon adresse puisqu'il n'a rien pour écrire. J'explique ma peur de m'alourdir, ma volonté de m'alléger au maximum pour mettre toutes les chances de réussite de mon côté... » La photo prise par ce montagnard inconnu me sera effectivement envoyée et montrera que le volume de mon sac en fin d’étape ne peut pas me faire classer dans les Muls. Bien que bénéficiant de l’immense service d’une voiture ravitailleuse, transportant vivres, matériel de couchage, vêtements et chaussures de rechange, je portais toujours, au cours des longues étapes, de quoi m’assurer, bivouaquer, me changer, me nourrir durant 48 heures, en cas d’accident. Porter un appareil photo ne m’aurait pas beaucoup alourdi mais photographier si ! Créer une image, prend du temps, mais surtout, en imposant ses contraintes particulières, sépare de la montagne, détruit l’osmose subtile qui s’est installée silencieusement chez le marcheur. Un an plus tard, ce pêcheur solitaire remerciera chaudement Georges Véron, après avoir traversé les Pyrénées en 26 jours, accompagné de trois amis, dont Simone Gleizes, première féminine. Il s’agit de Guy Pistre, professeur à Valras-Plage, qui a publié, sous forme d’une plaquette de 36 pages, le passionnant récit de cette extraordinaire traversée collective.
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