Voilà , j'ouvre ce post suite au compte-rendu photo de la sortie au Mont Perdu actuellement visible sur le site, pour témoigner et faire réfléchir.
En effet, j'ai déjà donné mon avis sur ce compte-rendu là :
viewtopic.php?f=8&t=7610mais je souhaite poursuivre la discussion dans le forum qui convient.
En effet, cela fait un peu plus d'un mois que je me retiens de témoigner d'un incident qui s'est produit au pied du couloir Swan avec morphelin82, que je préfèrerai appeler Rémy, un mois que j'y repense sans cesse avec culpabilité, car je considère que ce jour-là , j'ai fait une grave erreur, et qu'elle aurait pu coûter la vie à mon partenaire du jour : je n'ai pas su complètement dire non, je n'ai pas su m'imposer et l'entêtement de Rémy a eu raison de tout mon bon sens, comme si toute mon expérience avait ce jour-là été balayée par l'obstination de quelqu'un à qui je n'avais pourtant aucun compte à rendre.
Ce qui me décide à raconter ce que j'ai vécu, c'est ce qu'à écrit Ventrachoux en commentaire de sa sortie au Mont Perdu avec la même personne :
Départ dimanche matin vers le Perdido. L'entêtement pour un objectif individuel a donc eu le dessus sur des décisions raisonnables pour le groupe. Gros sentiment d'échec et de faute pour ma part, que d'avoir cédé ; pas fier.
Je ne m'étale pas plus (d'ailleurs nieve a retranscris par des mots très justes ce que je pense et voulais que tu ré-entendes Rémy).Je ressens exactement la même chose : gros sentiment d'échec et de faute pour ma part, que d'avoir cédé ; pas fière.
Que s'est-il passé au Swan ?
J'avais proposé via le forum une sortie d'alpi sur trois jours et Rémy m'a contactée. Il m'a annoncé qu'il avait peu d'expérience, mais, dans le même temps, il a insisté pour qu'on aille au couloir Swan et qu'on enchaîne le lendemain avec la face nord du Mont Perdu. Il avait déjà quelques courses en AD à son actif. Je lui ai proposé des courses moins engagées, mais il a tenu à faire ça. Peu expérimenté mais sûr de lui, j'ai cédé une première fois car je me suis dit (naïvement ?) qu'on peut être peu expérimenté mais très à l'aise et que surtout, comme on a logiquement pas envie de se retrouver dans une galère en montagne, on est capable d'évaluer ses capacités, du moins de ne pas se surestimer et de garder une certaine marge. J'avais déjà fait ces deux courses en tête, donc je me sentais parfaitement capable de tout faire devant et de gérer les manoeuvres de cordes. A aucun moment je ne me suis présentée comme un "guide" qui va emmener quelqu'un. Je cherchais un partenaire pour venir avec moi...
Premier jour, montée au refuge des Espuguettes. Je découvre l'allure du Swan : bonnes conditions, le bas a l'air assez raide, sans doute en neige/glace, donc bien agréable à monter mais improtégeable jusqu'au relais équipé sur les rochers. Très vite j'émets des doutes quant à cette raideur et au poids de nos sacs que nous serons obligés de trimballer dans le couloir le lendemain. Je me demande si je ne vais pas galérer et si ça ne va pas être dangereux avec un sac lourd. Rémy ne semble se poser aucune question. Il n'entend pas mes doutes. Il insiste : on est venu pour faire l'enchaînement, pas question de n'en faire qu'une partie, comme si le Swan en lui même n'était pas déjà une magnifique course... Et comme il dit "si on se pose trop de questions, on ne fait rien". Je rétorque que c'est moi qui vais prendre les risques, tandis que lui sera en sécurité, assuré sur un relais au bout de la corde. Il insiste, encore, et encore, très lourdement, si bien que rapidement je me sens très mal avec ce compagnon.
Ce qui compte, c'est de faire les deux sommets... pour moi, ce qui compte, c'est de passer une belle journée en montagne sans se mettre au taquet.
Finalement, cette fois là , je n'ai pas cédé. J'ai décidé que nous irions seulement au Swan et que nous laisserions le matériel inutile au refuge, pour être plus à l'aise dans le couloir. Je n'avais pas envie de me forcer pour une personne qui, obnubilée par sa réussite, se montrait incapable de prendre en compte ma sécurité.
Le lendemain matin, au pied du couloir, tout a basculé. Je venais de m'installer au pied du couloir, j'étais en train de faire une terrasse pour que l'on s'équipe. Dans la remontée du cône de déjection bien raide sur la fin, je m'étais retournée plusieurs fois pour demander à Rémy si ça allait. Il suivait. Pour moi, il n'y avait rien de difficile, je montais avec un piolet et un bâton. La neige était bien dure. Puis alors qu'il arrivait à 4 mètres de moi, il a glissé. Il a glissé dans la pente en se cognant sur les boules de l'avalanche de purge pendant 150 mètres de dénivelée. Je me suis dit qu'il allait mourir là sous mes yeux. Il s'est arrêté, j'ai crié, il a bougé. Gros soulagement. Je suis descendue vite jusqu'à lui tandis que des espagnols qui montaient derrière arrivaient auprès de lui. Il n'avait rien, juste quelques égratignures.
Que s'était-il passé ? Rémy m'a dit qu'il pensait que je l'aurais encordé dans le cône. Mais il n'a rien demandé. Peut-on penser que quelqu'un qui a si lourdement insisté la veille pour aller dans ce couloir avec un gros sac aurait besoin de s'encorder avant même le début des difficultés ? Il n'a pas dit non plus qu'il ne se sentait pas à l'aise avec un seul piolet. Il ne m'a pas demandé de l'aider à prendre le deuxième. Il ne se sentait pas en sécurité, mais il a continué comme ça parce que moi je faisais comme ça.
Est-ce qu'on peut tenir si peu à sa vie qu'on continue alors qu'on se sent en danger ? Encore aujourd'hui, je suis stupéfaite, et en même temps, je me sens coupable de ne pas avoir su anticiper tout cela, ne ne pas l'avoir deviné. Rémy me parlera ensuite de son encadrant du CAF qui lui fait toujours des bonnes marches... et je ne sais pas si je dois le prendre comme un reproche (malvenu...)
Après la chute, nous sommes prudemment descendus car il avait cassé un de ses crampons. Mais de retour au refuge, Rémy m'a proposé de monter au Piméné pour ne pas gâcher la journée. Sans crampons... et donc dans les pentes d'herbes pour éviter la neige. A ce moment là , j'ai eu l'impression de vivre un cauchemar face à quelqu'un qui ne se rendait visiblement pas compte de ce qu'il venait de vivre, et qui s'obstinait à vouloir à tout prix faire un sommet, puis remonter à un refuge le soir même pour faire une course le lendemain. J'aurais du dire non, car la seule envie que j'avais c'était de rentrer chez moi. Mais j'ai en partie cédé. Il m'a collé le téléphone à l'oreille pour que j'entende bien que le type de météofrance annonçait beau le lendemain, il a réussi à louer des crampons, et nous sommes montés au refuge de la Glère dans la brume et malgré le mauvais temps annoncé, car il l'avait décidé, il ne voulait pas renoncer et j'ai été trop faible pour dire non. Je n'étais plus moi même. J'avais la sensation de faire tout le contraire de ce que ma tête et mon coeur me commandaient. Le lendemain, nous n'avons pas atteint le Turon caché dans les nuages, et toutes les questions qui se bousculaient dans ma tête ont gâché les quelques beaux virages que j'ai pu faire à skis.
Depuis ce jour, je me sens coupable de ce qui est arrivé. J'ai l'impression d'avoir fait une lourde erreur, juste en ayant cédé devant son insistance, en ayant eu la faiblesse de croire qu'il savait un minimum ce qu'il faisait. Je me demande comment j'ai pu cédé, et être à ce point aveuglée par quelqu'un qui visiblement a beaucoup plus confiance en lui que moi, quelqu'un capable de m'imposer son choix malgré tout ce que je sais de la montagne et alors même que je n'avais plus envie.
Les plus grosses erreurs en alpinisme, on les fait souvent dans la tête. On se laisse entraîner par son orgueil, par des désirs inconscients que l'on ne maîtrise pas. Je me suis laissée entraînée par mon incapacité à dire non, et j'estime que c'est la plus grosse erreur que j'aie jamais faite.
Je ne sais pas si Rémy est conscient de ce qui lui est arrivé. Je ne sais pas s'il se pose autant de questions que moi depuis ce jour... et c'est parce que j'ai l'impression qu'il n'a pas su entendre cet avertissement que lui a envoyé la montagne, que finalement je fais ce récit, alors que nous avions convenu de garder cela entre nous. Je ne cherche pas à l'accuser de quoi que ce soit, et je témoigne avant tout de mon erreur et de la trace qu'elle a laissé en moi, car c'est la seule chose qui importe à mes yeux : en montagne on est toujours responsable de ses choix, et ce jour-là , je n'ai pas réussi à faire les bons choix (imposer une course plus facile pour commencer, renoncer au couloir pendant l'approche, refuser de repartir après l'accident), et je me demande ce qu'il serait advenu si Rémy n'avait pas glissé au pied du couloir mais dans la pente finale, encordé avec moi.