L’étape qui conduit au refuge de Bayssellance, sur l’épaule du Petit Vignemale, depuis le refuge Wallon, au coeur de la région du Marcadeau, par le col d’Aratille, le col des Mulets, et la Hourquette d’Ossoue, est une splendeur et offre en matière de paysages presque tout de ce que l’on peut attendre de la haute montagne : un départ dans les pâturages, un cheminement tortueux dans un cadre grandiose, des pics puissants, élancés, des lacs enchanteurs, des vues inoubliables. Mais, on a beau se régaler à l’avance de ces morceaux choisis de nature, la réalité en montagne peut parfois dépasser le rêve. Question de disponibilité intérieure, bien sûr, mais aussi de chance, car la lumière idéale n’est pas souvent au rendez-vous des sites. Les livres de photographies des Pyrénées ont magnifié la plupart des lieux hors du commun sous un éclairage somptueux, peuplant nos imaginaires d’attentes de beautés extraordinaires. Les pêcheurs d’images sont des gens moins pressés que les randonneurs, ils prennent le temps d’attendre les éphémères et rares noces de lumière. Les voyageurs, plus gourmands d’espace, rencontrent parfois ces moments, dépassant l’imagination, d’accord surnaturel entre la terre et le soleil. Ils sentent alors que leurs regards, leurs mots, leurs photos laisseront échapper ce qu’ils ont intimement vécus dans l’instant magique qui les a incendiés. Une image aussi réussie soit elle s’épuise à saisir ce qu’elle ne peut qu’imparfaitement capter. Le coeur regrette de ne pouvoir retenir le merveilleux d’une ambiance bouleversante. Malgré tout, quelques mots encore pour offrir des bribes de souvenirs : « Je marche vivement pour me réchauffer. Dans le silence matinal, la montée vers le lac d'Aratille ne manque pas de solennité. Tout est calme autour de moi, les arbres paraissent endormis. Brusquement, je découvre le lac dont la beauté me coupe le souffle. D'un bleu pâle, dans cette aube finissante, surmonté d'une légère écume de brume, il est encore assoupi, et je ne serais pas surpris d'y voir plonger quelque fée ou quelque lutin. Les fées tardant à se montrer, je continue ma montée vers le col, que je cherche à localiser dans une muraille estompée de brume."Â
"Ce sentier me plaît beaucoup avec sa façon de se faufiler dans la montagne, de révéler ses surprises, de souligner la distance parcourue. Le regard peut s'enchanter de vues renouvelées à chaque lacet. Plus qu'ailleurs, la marche me fait constamment changer de monde, m'ouvre une multitude de portes invisibles mais sensibles. Au loin, le col de la Fache m'adresse un clin d’oeil amical et m'encourage. Quinze ans plus tôt, dans ces parages, j'avais reçu en plein coeur la révélation de l'indicible beauté du lac d'Aratille. Aujourd'hui, sans le savoir clairement, j'attends le renouvellement de cet émerveillement exceptionnel. Quand le lac surgit, après un sursaut du sentier, je suis presque déçu par sa réelle beauté. Certes ses eaux vertes enchâssées dans ses rives rocheuses où viennent boire les verts pâturages caressent mon regard, mais ce n'est pas la magnificence que j'espérais ! De fait, un coup de foudre ne frappe que par surprise. En 1974, ce lac m'était apparu au petit matin, bleu pâle, surmonté d'une légère écume de brume, assoupi, féerique. La magie d'une rencontre ne se programme pas." Plus loin, après le col des Mulets « Le regard plonge maintenant dans la vallée des Oulettes de Gaube mais il faut encore dévaler une raide pente d'éboulis pour dépasser le contrefort masquant le Grand Vignemale. La voilà , enfin, la formidable muraille du plus grand pic pyrénéen français, la Pique Longue, cette face Nord de mille mètres dressée comme un menhir, appuyée contre le ciel, avec son couloir fascinant tendu verticalement jusqu'au vertige. Ce grand seigneur d'Ossoue, ceinturé de brumes, m'impose une photo. Il y a longtemps, longtemps, j'avais bivouaqué avec ma petite famille sur son sommet, inquiété toute la nuit par le son lugubre d'une corne de brume transformée à l'aube en vulgaire bouteille vide. Le souvenir de l'immense collier de lumières accroché au cou de ce géant brille toujours dans mon souvenir. »
Pour rendre un juste hommage à Georges Véron et le remercier à la mesure des occasions procurées d’émerveillement, il faudrait plus de 700 kilomètres de points d’exclamation ou bien un seul, mais de 80 000 mètres de haut !
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